La langue arabe, enfant pauvre de l'enseignement français

Publié le par Jean-Philippe Chognot

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Malgré tous les liens qui unissent la France aux pays et à la culture arabes, l’enseignement de la langue arabe dans l’Hexagone laisse à désirer. Synonyme d’extrémisme dans la tête de beaucoup de Français, l’arabe se trouve face à de nombreux obstacles qui l’empêchent d’acquérir une place de choix dans le système éducatif tricolore. Cette situation marque une rupture profonde avec la longue tradition des études arabes en France, qui remonte à la Renaissance et au règne de François Ier.

Plus de deux millions d’arabophones en France, des relations étroites avec les pays arabes, notamment maghrébins… mais seulement une cinquantaine de professeurs agrégés d’arabe et 250 établissements enseignant cette langue. Comment en est-on arrivé à un tel paradoxe ? L’histoire de l’enseignement de l’arabe en France ne laissait pas augurer d’un tel déséquilibre. « L’intérêt pour la langue et la culture arabes résulte d’une grande tradition qui remonte au XVIe siècle », rappelle Bruno Halff, inspecteur général honoraire d’arabe et membre de l’association France-Algérie, qui milite pour approfondir les relations franco-arabes. Dès 1530 fut créée la première chaire d’arabe au futur Collège de France. Plus récemment, en 2005, c’est le centenaire de la création de l’agrégation d’arabe – deuxième plus ancienne agrégation de langue en France après celle d’anglais –, qui a été célébré.

L’arabe est avant tout une langue de culture. « Ce n’est pas seulement la langue du Coran – ce qui n’est déjà pas rien. L’arabe a aussi transmis à l’Occident des connaissances scientifiques importantes, dans des domaines aussi divers que la médecine, la biologie, les mathématiques, l’astronomie, la botanique ou encore la physique, énumère Bruno Halff. Mais ce n’est pas tout. Des grands textes, grecs par exemple, sont parvenus en Occident grâce à l’arabe, traduits à Tolède, en Espagne. » De plus, l’arabe est une des langues officielles des Nations unies (Onu) et de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

Pourtant, selon Pierre Joxe, président de l’Association France-Algérie, la langue arabe n’est souvent pas vécue comme un atout, surtout par les jeunes générations originaires de pays arabes. Le membre du Conseil constitutionnel explique cela par deux raisons : « D’une part, dans l’inconscient collectif, l’arabe est la langue des prolétaires parce que, dans le temps, ceux qui parlaient arabe en France, c’étaient les ouvriers. D’autre part, l’arabe n’est pas assez présenté aux jeunes comme la grande langue de civilisation qu’elle est. »

 

Enseignement dans le cadre religieux

Ces mauvaises perceptions découlent en grande partie de la faiblesse de l’enseignement de l’arabe dans le système éducatif français. « Beaucoup de jeunes désirent apprendre cette langue, il y a un vrai engouement. Mais l’offre ne suit pas. Les élèves abandonnent rapidement l’idée de poursuivre son apprentissage », remarque Bruno Halff. Concrètement, dans quarante-cinq départements français, l’enseignement de l’arabe est totalement absent du système scolaire. C’est le cas par exemple dans l’académie de Corse où, pourtant, 13 % de la population en âge d’aller à l’école est marocaine.

La situation dans l’enseignement supérieur est légèrement plus favorable même si elle est loin d’être idéale : 3,5 % des étudiants suivent des cours d’arabe. Cela place cette langue en 5e position des langues étudiées dans le supérieur, encore loin derrière l’anglais (63 %), l’espagnol (28 %), l’allemand (13 %) et l’italien (6 %). Ce qui empêche les effectifs d’augmenter, c’est le manque de professeurs. « On diminue le nombre d’enseignants agrégés. Cela entraine une diminution du nombre d’étudiants. Alors, comme il y a moins d’étudiants, on diminue de nouveau le nombre d’agrégations et ainsi de suite. C’est le serpent qui se mord la queue », dénonce Pierre Joxe.

Face à tous ces problèmes non résolus dans les circuits traditionnels d’enseignement, beaucoup de déçus se rabattent sur le milieu associatif pour apprendre l’arabe. Cela cause d’autres maux non moins préoccupants. « Les associations, religieuses ou non, réunissent des publics très importants. Mais, malgré toute la bonne volonté qu’elles mettent pour enseigner l’arabe, elles ne disposent pas des outils nécessaires pour un bon apprentissage », note Bruno Halff. Pierre Joxe poursuit : « En plus, cet enseignement se fait la plupart du temps dans un cadre religieux. Cela apporte de l’eau au moulin de ceux qui font l’amalgame entre arabe et intégrisme. »

Pour mettre un terme à ces amalgames et replacer l’enseignement de l’arabe à une place privilégiée en France, l’Association France-Algérie prévoit d’organiser un colloque sur le sujet au mois d’octobre 2008. « Il réunira des universitaires français et étrangers, des chercheurs, des intellectuels et des artistes », annonce Pierre Joxe. Ce rassemblement aura probablement lieu à Marseille. Tout un symbole : presqu’un quart de la population de cette ville est d’origine maghrébine.

Jean-Philippe Chognot


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Publié dans Culture

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