Journée de chaos à Bangkok

Publié le par Jean-Philippe Chognot

L’occupation du quartier d’affaires de Bangkok par les « chemises rouges » est terminée. A l’aube, l’armée thaïlandaise a mené un assaut contre le camp retranché des opposants. Quelques jusqu’au-boutistes sèment toujours la panique.

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Crédit photo : AP Photo/Wally Santana

 

 

L’économie thaï pâtit des crises politiques à répétition

Les bouleversements se succèdent dans la politique thaïlandaise. Ce sont autant de coups portés à l’économie du pays.
« Les Thaïlandais sont las », lâche Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Depuis 1932, ils vivent au rythme des coups d’Etat. Dix-huit en 78 ans. Rien que depuis le renversement du Premier ministre populiste Thaksin Shinawatra en septembre 2006, le royaume a connu cinq crises politiques. « Nous assistons à des conflits à rebondissements, note la chercheuse. Le recours à la violence est devenu un mode de pression habituel en Thaïlande. »
Ces bouleversements politiques ont un impact sur l’économie. L’épisode des « chemises rouges » l’a montré. « Lorsque des milliers de personnes occupent le quartier d’affaires de Bangkok pendant plus de cinq semaines, cela gêne dramatiquement le climat économique du pays », fait remarquer Sophie Boisseau du Rocher.

Une image meurtrie
Depuis le 3 avril dernier, date de début du siège, les entreprises de Bangkok tournent au ralenti. Leur personnel ne peut plus se rendre dans les bureaux situés dans l’« hypercentre » de la capitale. « Dans ces conditions, difficile d’attirer ou de retenir les investisseurs étrangers », constate la spécialiste.
Le tourisme, l’un des principaux pans de l’économie thaïlandaise, est également touché. « L’image du pays est malmenée par cette guérilla et c’est rédhibitoire pour le tourisme, souligne le chercheur Olivier Guillard, sur le site Internet de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Cela a notamment un coût pour l’hôtellerie. Dans le cœur de Bangkok, les hôtels sont passés de 90% à 20% d’occupation. »
Le chaos économique a obligé les autorités à mettre fin au siège. « Le pays ne pouvait pas supporter cette situation plus longtemps, estime Sophie Boisseau du Rocher. L’armée était obligée de rétablir l’ordre pour ramener la capitale thaïlandaise à un semblant de normalité. »

Jean-Philippe Chognot



Chemises rouges : les oubliés du miracle thaïlandais

t12_23467397.jpgLes opposants « rouges » viennent des milieux ruraux et ouvriers. Ils sont les exclus du développement économique thaïlandais.
Le train de la croissance les a laissées à quai. Les classes rurales et ouvrières thaïlandaises nourrissent les rangs des « chemises rouges ». « Ce sont les populations les moins nanties, indique Sophie Boisseau du Rocher. Ils se sont senti écartés du développement économique du pays alors qu’ils ont porté le miracle thaïlandais dans les années 1960/70. »
Les « chemises rouges » apparaissent à la fin 2006, après le renversement par un coup d’Etat militaire de Thaksin Shinawatra. À l’origine, c’est un mouvement de soutien à l’homme politique déchu. Il s’est ensuite élargi à l’ensemble des milieux populaires.
« Ils ont adopté la couleur rouge pour se faire remarquer et pour se reconnaître entre eux », explique Sophie Boisseau du Rocher.

Leur contestation monte d’un cran le 12 mars dernier. Environ 100 000 opposants battent le pavé de Bangkok. Le 3 avril, les « chemises rouges » installent des barricades dans le quartier d’affaires de la capitale. Leur camp résistera pendant cinq semaines. « Au moment de l’assaut de l’armée, ils n’étaient plus que 5 000, assure la chercheuse. Parmi eux, on estime qu’il n’y a qu’une centaine d’extrémistes qui ont intérêt à pousser jusqu’au bout pour devenir des martyrs. »

J.-P.C.

Crédit photo : Nicolas Asfouri/AFP/Getty Images



Les journalistes pris pour cible

Marie Normand couvre les événements en direct de Bangkok pour différents médias français. Elle décrit une atmosphère de chaos.
« Les "chemises rouges" sont en colère. Elles n’ont pas accepté la reddition de leurs leaders. Elles ont pleuré, hurlé puis se sont dispersées dans la ville. Depuis, nous entendons plein d’explosions. Il y a des mecs en noir, des anciens paramilitaires, qui lancent des grenades. Certaines "chemises rouges" ont des fusils d’assaut. J’assiste à des scènes de vandalisme. Des magasins sont brûlés, pillés. Le plus gros centre commercial de Bangkok a été attaqué.
D’après mes informations, des rassemblements "rouges" se créent aussi en province. Des grandes mairies de district ont été attaquées. Les autorités ont peur de la tournure des événements. D’ailleurs, le gouvernement a imposé un couvre-feu pour ce soir.
Pour les journalistes, c’est très difficile de travailler. Parmi les cinq morts recensés pour l’instant (à 15 h 10, heure thaïlandaise, NDLR), il y a un photojournaliste italien de 48 ans. Quelques collègues blessés ont été emmenés à l’hôpital. Nous avons l’impression d’être des cibles. »

J.-P.C.

Publié dans International

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