Les usagers du RER réapprennent à sourire

Publié le par Jean-Philippe Chognot

Entre grèves, heures de pointe et perturbations, les passagers des transports parisiens n’ont pas souvent l’occasion de sourire. Emmanuel, contrôleur du bonheur, se charge d’égayer leurs trajets.
« Contrôleur du bonheur ! Veuillez me présenter vos sourires s’il vous plait ! » Interpellés de la sorte, les usagers du RER B lancent des regards méfiants vers le nouveau venu. Cheveux mi-longs, barbiche et moustache, béret de titi parisien, veste en cuir noir, un petit mégaphone dans la main droite… L’allure et la malice d’Emmanuel détonnent au milieu des mines fermées des Franciliens de retour du travail. Dans la demi-heure qui vient, le quadragénaire se met au défi d’accrocher un sourire sur les lèvres de chaque voyageur.
Théâtral, lyrique, il parcourt avec agilité la rame bondée. L’orateur apostrophe, interpelle, traque le moindre fléchissement de babines. « Vous, là-bas, avec les écouteurs, vous avez un sourire lumineux, complimente-t-il, l’index pointé vers une mamie radieuse. L’EDF peut se faire du souci. Avec votre sourire, on risque de ne plus avoir besoin d’électricité. » À une étudiante : « Mademoiselle, vous avez un sourire de muse. Botticelli se lèverait dans sa tombe pour le peindre. »
Les tirades d’Emmanuel sont accueillies avec amusement. Seul un jeune homme hirsute, la mine patibulaire, refuse de se prêter au jeu. « Je ne vais quand même pas m’obliger à sourire pour vous faire plaisir », regimbe-t-il, en vissant des écouteurs dans ses oreilles. « Eh bien messieurs-dames, cette personne est atteinte de bougonnerie ou de sarkozite aigüe », diagnostique le contrôleur du bonheur, provoquant l’hilarité des passagers. Même le réfractaire peine à réprimer une contraction de ses zygomatiques.

Métier d’utilité publique
Le one-man-show de « Monsieur Sourire » est un hymne au bonheur. Une ode à la joie en prose. Il alterne anecdotes, traits d’humour, jeux de mots, effets de manche ou encore phrases célèbres. « Un sourire, ça ne coûte rien et ça fait tellement de bien, argumente-t-il avec conviction. Nicolas de Chamfort, un grand auteur français, disait : "Une journée sans sourire est une journée perdue." »
Si Emmanuel s’improvise humoriste ferroviaire, ce n’est pas uniquement pour moissonner les sourires. « Ça ne nourrit pas son homme », admet-il. Une fois son public conquis, l’amuseur fait un appel au don. Non sans originalité. « Le gouvernement a refusé de reconnaître les contrôleurs du bonheur comme un métier d’utilité publique, scande-t-il dans son mégaphone. Par conséquent, je ne refuse pas les dons. Argent, billets, grosses coupures, chèques, tickets restaurant, titres de transport, cigarettes… Si vous voulez donner quelque chose, levez la main. Mon chapeau volera jusqu’à vous. »
L’originalité de sa démarche distingue Emmanuel des nombreux quémandeurs que l’on croise au quotidien dans les transports parisiens. Le succès est au rendez-vous comme en témoigne la recette de sa quête. Autre preuve : les commentaires des spectateurs. « Merci, lâche l’un d’entre eux. Grâce à vous, je n’ai pas vu le temps passer. » Mission accomplie. Direction un autre RER à égayer.

Jean-Philippe Chognot

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